lundi 29 juin 2009

LGF surveille un examen: Le Retour (part Four)

Quand tout le monde est sorti, Machin, qui est un gars méthodique, s'aperçoit qu'au total tous les étudiants de grec ont dû se rajouter à la main sur une liste d'émargement qui compte pourtant un bon gros paquet de noms. Bizarre, ça. Il fronce les sourcils, il remue des papiers, il prend l'air songeur, bref, il manifeste l'intention évidente d'éclaircir la question. Je me chuchote in petto qu'à mon avis éclaircir avec juste son cerveau le méga barnum de cette fin d'année c'est à peu près aussi réaliste que d'essayer de traduire Démosthène après une cuite à la vodka, quand je vois soudain Machin marquer l'arrêt façon braque de Weimar devant un terrier. Il a une enveloppe non décachetée entre les mains et les veines de son front palpitent doucement. Je m'approche, intriguée, mais je ne saisis pas encore le sens du regard un peu fixe de Machin. Il décachète mécaniquement l'enveloppe, sort un sujet, compare le sujet sorti avec le sujet sur lequel ont composé les étudiants partis, compare la liste d'émargement vierge à celle sur laquelle ils ont rajouté leur nom… et je comprends. Oh merde ! Ils ont composé sur un mauvais sujet ! Ils avaient "grec niveau 1 bis" et on leur a distribué le sujet "grec niveau 1", à peu près quarante fois plus facile. Et ils n'ont rien dit, les bougres ! Faut dire que le nom du prof est le même, le nom du cours aussi, le nom du niveau aussi, il faut juste savoir que les étudiants qui font "droit privé" sont en niveau 1 bis alors que "droit public" et "droit des affaires", c'est niveau 1. Limpide, surtout quand on a 8 sujets à distribuer en même temps, à des étudiants dont la moitié se plaignent bruyamment de ne pas avoir été avertis de la tenue de l'examen, tandis que l'autre moitié est incapable de dire quel sujet ils souhaitent vu qu'ils n'ont souvenir ni du nom du prof, ni de l'intitulé d'un cours auquel ils ne sont jamais allés de l'année. Machin attrape une feuille de brouillon (rose, pas le choix, et puis c'est raccord avec la grotesquerie surréaliste de l'ensemble de la séquence) et s'assied à une table vacante avec une tronche à faire cailler du lait frais. Il étale ses guibolles, dégaine son Reynolds feutre à bille noir écriture souple, pousse un soupir de bûcheron canadien, et entreprend de se fendre d'une belle petite bafouille pour expliquer au prof de grec pourquoi toutes les copies qu'il va trouver dans son enveloppe sont outrageusement bien réussies, et pourquoi en revanche tous les étudiants ont émargé sur une autre liste que la sienne… Pendant ce temps-là, partagée entre le fou-rire et l'explosion de colère, je fait mine de veiller sur le labeur des autres, tâche pas totalement exténuante dans la mesure où, au bout d'une heure, il ne reste plus que quatre étudiants dans la salle.

Arrivent les sept heures du soir, fin officielle de l'épreuve. Il ne reste plus dans la salle aux vitres embuées qu'un unique étudiant, qui relit sa copie en y ajoutant d'un geste nerveux quelques corrections de dernière minute. Avec Machin, on a libéré la collègue germaniste qui avait déjà raté deux trains pour rentrer dans ses pénates, et je remballe mécaniquement brouillons, sujets, listes d'émargement et copies inutilisées en surveillant le retardataire du coin de l'oeil, vaguement impressionnée par le sérieux du mec qui utilise posément l'intégralité du temps qui lui est imparti, drôle de vigie dans l'océan de bouillasse. Pendant ce temps, Machin achève de rédiger une autre lettre, pour expliquer à un autre prof que que les copies de son paquet viennent d'étudiants qui ont explicitement réclamé son sujet (et qui donc connaissaient son nom, probablement pour avoir assisté à une de ses séances, aussi incongru que ça puisse paraître) mais dont les noms figurent en fait sur la liste d'émargement d'un autre prof dont, à l'inverse, personne n'a réclamé le sujet. Une affaire presque banale. Comme il paraphe sa bafouille ubuesque d'une signature rageuse, l'ultime étudiant se lève, range ses affaires dans son sac, étire son interminable carcasse dégingandée, et s'approche de nous en souriant, sa copie à la main. Il émarge, nous salue d'un hochement de tête dans lequel je devine une once de compassion, et quitte la salle pour gagner des endroits ombragés où la bière est fraîche et l'existence, sans nul doute, plus raisonnable qu'entre nos murs. Nous voilà seuls, épreuve finie, calvaire terminé.

C'est alors que Machin, qui tient toujours à la main la copie que le grand escogriffe lui a tendue, éclate d'un rire hystérique. Je lui prends la copie des mains pendant qu'il s'affale sur le bureau qu'il martèle du poing en pleurant. Et je comprends, en survolant la copie soigneusement rédigée d'une grande écriture souple, que l'étudiant a traité sans broncher un sujet sur "les images de l'homosexualité dans la Rome impériale" alors qu'il avait manifestement appris par coeur, et donc cherché à recaser de force, sans paraître trouver un seul instant l'exercice incongru, le cours sur les transformations de la métaphysique dans la pensée allemande après Hegel. On est partis en courant, avec Machin, et on ne s'est arrêtés de courir qu'une fois arrivés dans la gargote incroyable juchée derrière la fac sur un remblai, où l'on s'est proprement finis au picon-bière jusqu'à la nuit.

Les examens, c'est crevant, je trouve.

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