mercredi 3 juin 2009

Chronique de la première grève universitaire (2)




Bon, bien sûr, comme aujourd’hui, il y a eu des grincheux pour se plaindre de la façon dont les choses (notamment les A.G.) étaient menées, à l’instar du dénommé (ça ne s’invente pas) Philippe de Grève :

« Jadis, quand chaque maître enseignait de son côté et que le nom même d’université était inconnu, lectures et disputes étaient fréquentes ; on avait du zèle pour l’étude. Mais maintenant que vous vous êtes unis pour former une Université, les leçons sont devenues rares, tout se fait à la hâte, l’enseignement est réduit à peu de choses ; le temps pris aux leçons est gaspillé en réunions et en discussions et dans ces assemblées, tandis que les anciens délibèrent et légifèrent, les jeunes ne pensent qu’à former d’abominables complots et à préparer leurs expéditions nocturnes. »

Ouh ! Les vilains étudiants ! Ouh ! Les feignasses d’enseignants ! Pourtant, du haut de ces quelques lignes, huit siècles nous contemplent. Etonnant non ? Déjà, à l’époque, l’Université, pour certains, c’était du grand n’importe quoi. La seule différence, et elle est de taille, c’est qu’aujourd’hui, l’Université est en voie de disparition, alors qu’à l’époque de Philippe de Grève elle était en train de naître. Elle est d’ailleurs née comme elle mourra peut-être, à coups de grèves.

Forts de cette première revendication, aussitôt satisfaite, les clercs ont poussé leur avantage pour devenir, à l’issue d’un combat long d’une trentaine d’années, une « universitas », c’est-à-dire une corporation à part entière, avec ses privilèges. Devenir une université, cela signifiait essentiellement obtenir… son autonomie.

Mais bon sang, me direz-vous, la grève et la dispersion ? Comment ça a pu marcher ? Humm… Allez, je vous raconte un autre épisode, qui en plus a lieu pendant une période de crise, en 1229-1231.

Pendant le Carnaval 1229, des étudiants en goguette, à la recherche d’une femelle court vêtue et à la cuisse légère, trouvent, à défaut, du bon vin dans une taverne du bourg Saint Marcel. On picole sec, les esprits s’échauffent. Une dispute éclate à propos du paiement : on passe, de part et d’autre, des gros mots aux gifles, puis aux cheveux tirés, enfin aux coups. L’aubergiste, qui appelle en renfort ses voisins, expulse sans autre forme de procès les trublions. Vexés, ceux-ci reviennent le lendemain, animés d’intentions rien moins que pacifiques puisque armés d’épées et de bâtons, et renversent tout ce qui se trouve sur leur passage, y compris de paisibles consommateurs et passants.

Le prieur de Saint-Marcel va chouiner auprès de l’évêque, qui en appelle à la régente, Blanche de Castille. Elle, c’est pas comme ce couillon de Philippe Auguste, elle a autant de courage que Valérie Pécresse. Comme cette dernière, dans son « impulsivité femelle », elle ordonne au prévôt de punir les auteurs de ces méfaits. Le vilain prévôt, profitant de l’autorisation, lâche sur des étudiants innocents qui n’avaient rien à voir avec Saint Marcel, des mercenaires aussi subtils qu’intelligents, des bandits de grand chemin qui s’en donnent à cœur joie - la BAC de l’époque, quoi. Bilan : plusieurs morts parmi les étudiants.

Les cours sont immédiatement suspendus. Le pouvoir ne bouge pas. Nous sommes en mars-avril 1229, il y a de cela exactement 780 ans. A Pâques 1229, l’Université décide que si justice n’est point faite, elle fera sécession, prononcera sa dissolution pour dix ans et ne reviendra jamais. Bref, l’Université s’arrête.

Et de fait, tout le monde se casse. Qui pour Oxford et Cambridge (et c’est ainsi que naquirent les deux prestigieuses universités anglaises…), qui pour Reims, Orléans, Angers ou Toulouse…
Panique au sommet de l’Etat : on se rend compte qu’il faut négocier. Le pape intervient comme médiateur entre le pouvoir royal et l’université en grève, mais le conflit se prolonge, deux années durant...

En avril 1231, la bulle Parens scientiarum de Grégoire IX sert à la fois à mettre fin à la grève et à réglementer définitivement l'organisation interne et les statuts de l'université, promulgués une première fois en 1215. Elle ordonne de punir les meurtriers, elle définit les règles fixant les loyers des étudiants, la conception générale de l’enseignement, les programmes des cours, les conditions d’obtention des diplômes, la durée des vacances (un mois facultatif…). Surtout, elle confirme la légalité du droit de grève, reconnu dès 1215… Dans les années qui suivent, toutes les franchises et autonomies universitaires sont confirmées.

Y a un truc, vous me direz. Quelques trucs essentiels à savoir, oui.
(à suivre)

1 commentaire:

  1. Bonjour
    Ceci est un message pour La grosse feignasse,
    Je suis comédienne et je fais partie d'un groupe qui monte un spectacle sur le theme de resister et désobeir, aujourd'hui. Ce spectacle est un montage de textes, de témoignanges. Nous voudrions utiliser votre texte de La grosse feignasse, et avons donc besoin de votre autorisation.
    Pouvez vous me contacter :
    samadar.m@free.fr merci

    RépondreSupprimer