vendredi 1 mai 2009

Billet TLF: Portrait de l'écrivain en animal domestique (1)

En août 2007, pendant que la loi LRU passait en loucedé et que Yasmina Reza publiait l'immortel L'Aube le soir la nuit, Lydie Salvayre publiait Portrait de l'écrivain en animal domestique. Extrait (en deux temps) choisi pour la fête du travail...


"Retenez bien ceci, mon petit, me dit-il: tous les hommes donnent leur accord sans réserve dès lors qu’à l’avance ils savent qu’ils seront récompensés.
Et bien qu’intérieurement je m’insurgeasse contre une telle affirmation, je me gardai de manifester mon désaccord, vu que j’avais moi-même reçu une énorme récompense pour écrire ce que, désormais, j’appelais l’ évangile.
Heureusement, Tobold ne me laissait pas le loisir de m’appesantir sur les ruades et soubresauts de ma conscience ni de me livrer aux misères masochistes de l’introspection, car il courait sans désemparer d’un rendez-vous à l’autre, d’une réunion à l’autre, d’un aéroport à l’autre, en perpétuel mouvement, et moi derrière, comme un toutou; ou bien il s’enfermait dans son bureau monumental pour y concocter ses coups (spéculer c’est jouir, maxime toboldienne), surveiller les flux boursiers, recevoir un chef de projet, un ministre des Finances, ou un représentant de l’OMC, fomenter des rivalités entre managing directors pour les mieux neutraliser, toujours dans l’urgence, toujours requis par quelque affaire, tou­jours effréné, impatient, ultra-speed, toujours en proie à une sorte d’exaspération anxieuse, toujours d’attaque, ne déposant jamais les armes, ne cherchant jamais le repos, conçu comme une maladie, et moi à prendre des notes hâtives en vue d’écrire le troisième Testament, pas moins! Jamais, en tout cas, jamais je ne le voyais tran­quille et désoeuvré, questionnant les présages au travers des fenêtres, ou arrimé aux songes (ainsi qu’il m’arrivait de plus en plus souvent lorsque je me repassais, en égoïste, le film de ma rencontre avec Bob (De Niro), tandis que Tobold, tout occupé des affaires mondiales, s’interrogeait sur la chute du yen et ses conséquences indirectes sur la politique étrangère), jamais je ne le surprenais l’esprit ailleurs, ou vide. Car je crois que le vide l’effarait comme une forme de la mort, le vide que Démocrite avait décrit, pour nous épouvanter, comme la chose absolument impérissable (ainsi procèdent les grands esprits), relayé par Pascal qui l’avait déclaré, de surcroît, mortellement attractif, à l’instar du sexe, où se dissimulait le Malin, mais je m’éloigne du sujet, encore que. Tobold, que le vide effarait, disait: Tout le malheur des gens vient de ce qu’ils ont trop le temps de se pencher sur leurs bobos."

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