lundi 16 mars 2009

La Grosse Feignasse monte un colloque (phase 1, III)

Après, il reste juste à vérifier que la mairie va bien distribuer les mallettes en plastique bleu ciel avec un choix de dépliants publicitaires, de plans du quartier piéton et de crayons siglés (sans quoi un colloque n’est pas VRAIMENT un colloque). Autant dire que, pour une feignasse, j’avais explosé mes objectifs. C’est quand même un truc à tomber de son oreiller : deux ans de boulot, putain deux ans, si c’est pas contre-nature, ça ! Alors que j’aurais pu, je ne sais pas, réserver mon chalet estival (ça occupe deux doigts, sur Internet, et ça en laisse huit autres pour la lime à ongles et le durcisseur) ; ou reclasser toutes mes photos de Palavas en laissant ma couleur prendre ; ou même, soyons fous, avancer un peu dans la rédaction d’un livre qui ne sera pas pris en compte dans mon avancement et qui sera pilonné douze mois après sa parution. Bref, j’aurais pu me consacrer à de vrais trucs de feignasses, au lieu de gravir cet Himalaya d’emmerdements. Tiens, les demandes de subvention : non seulement les neuf dixièmes des conseils que m’avait donnés le service ad hoc étaient faux ou périmés (forcément, avec des procédures qui changent automatiquement tous les quinze mois, c’est un risque à courir, ça doit expliquer aussi pourquoi ils sont tous jaune pâle, dans ce service), mais en plus il faut s’enfiler d’interminables déjeuners de travail plus ou moins utiles, pour convaincre tel conseiller, tel sous-directeur, tel sous-membre de commission de l’intérêt du projet (et ça, c’est très mauvais pour la ligne : on mange en parlant, paf, on est ballonné). Le plus fatigant, au fond, c’est de répondre encore et encore à cette interrogation que tous mes interlocuteurs semblaient considérer comme essentielle : « et le grand public ? ». J’ai vite perdu le goût des efforts surhumains qu’il fallait faire pour répondre à ça. Pourtant il aurait fallu. Mais je n’ai pas une nature de VRP. J’ai une nature de feignasse, et contrariée, qui plus est. Rien que d’y repenser, une énorme lassitude m’abat…

Bref, j’étais donc là, immobile et interloquée. Il fallait faire l’affiche. La grande affaire. Une affiche, ça se compose. Moi, avec mes six mille heures de vol en maquillage d’une seule main, l’idée me séduisait plutôt. Je me voyais déambulant parmi des rangées de petites mains, drapée dans une étole en soie sauvage, le brushing impeccable, lunettes à la Lagerfeld sur le nez, distribuant des conseils artistiques avec un rien d’accent autrichien. Eh bien figurez-vous que la réalité est nettement plus prosaïque. La grande question, c’est d’abord le placement des logos des gentils bailleurs de fonds. Là, attention, on m’avait expliqué par le menu à quel point cet aspect négligé de la composition d’une affiche était « vachement important » (je cite de mémoire). Si le logo de la Région est un chouille plus petit que celui du Département (mais un chouille, hein, genre quelques pixels), fini les bons euros, le prochain colloque y’en a plus rien valoir du tout. Alors je m’y suis mise, forcément. J’ai passé une tenue appropriée (un petit ensemble urban walking en téflon bicolore avec des fentes surpiquées pour l’aération pendant l’effort, une paire de converses vintage chinées à Barbizon pendant un colloque sur la peinture paysagère, des mitaines de golf pour pas choper froid aux doigts en recomptant les pixels), et j’ai calibré mes logos. A un moment, j’ai bien eu l’idée d’en coller un dans chaque angle, mais on m’a rétorqué que la charte graphique l’interdisait. La charte ? Mais elle est où, cette charte, à la fin ? Partie avec Bobby, visiblement, comme les clefs de l’armoire à cartouches d’encre, et le code secret du scanner à plat du deuxième.

Enfin, j’ai pris mon courage à deux mains, et un bol de pistaches dans l’autre (logique : le blog de la grosse feignasse est codé sous spip), et j’ai fait tout ça depuis mon canapé. J’ai compté les pixels, j’ai calibré les logos, j’ai choisi l’image principale. Ah, l’image, choix difficile. J’ai fini par m’arrêter – c’est le cas de le dire – sur celle d’un universitaire des premiers temps. Ah, les temps anciens, c’était tout de même autre chose. On savait partir en colloque dans le confort minimum, tout de même.

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